La presse

«sortie» de l'action, coquette, victime des événements plus que pivot et investie de tout un ensemble de caractéristiques de la femme traditionnelle. J'ajoutais que j'aimais trop Yoko Tsuno pour la voir s'échapper ainsi.
Pour Roger Leloup, cela ne fait pas de doute, il n'y a pas d'érotisme dans les aventures de Yoko Tsuno.
 
Une amie ou une sœur...
 «Le seul érotisme que je concède, précise-t-il, n'est pas de l'érotisme mais de la fraîcheur. On ne reçoit pas Yoko Tsuno comme femme mais comme amie ou sœur. Elle a un corps de femme, c'est ce qui pose les problèmes. Par exemple, dans le prochain album, elle nage sous l'eau, vous voyez les difficultés que j'ai eues à ne pas trop dévoiler, à faire attention à certains angles, surtout qu'elle était en maillot. Eh bien! j'ai dû la rhabiller. Il ne faut pas que la BD soit un accès direct à un érotisme féminin. Pour moi, Yoko Tsuno est ma fille spirituelle et l'on ne déshabille pas sa fille.»
«On a reproché à mon héroïne, poursuit-il, d'être asexuée, aseptisée et trop garçon. J'ai toujours essayé de la doser au maximum et de mettre sa beauté en valeur sans jamais l'exagérer. Yoko Tsuno a comblé tous mes rêves, avec elle j'ai pu enfin raconter mes propres histoires: Et ce n'est pas facile en bande dessinée d'approcher l'univers de la femme.»
Mais avec tout le respect que j'ai pour M. Leloup et en sachant très bien que j'aurai ici l'avantage du dernier mot dont je ne veux pas profiter, je reste en désaccord avec la façon dont il a représenté son héroïne dans le dernier album. Avec Adèle Blanc-Sec, Yoko Tsuno est le personnage féminin le plus intéressant qui existe présentement dans la bande dessinée d'aventure.
En créant un héros féminin, Roger Leloup devait s'attendre à ce que soit soulevée la problématique de la représentation de la femme dans la bande dessinée. Yoko Tsuno est désormais passée dans le domaine public, elle n'appartient plus à son créateur.
Le fait par exemple que Yoko Tsuno se promène en robe de nuit une bonne partie de l'album, qu'on soit témoin de certaines scènes intimes, cela n'est pas un choix de dramatisation ou d'atmosphère, que la dite robe de nuit soit transparente ou non. Le choix est essentiellement dans la représentation de la femme dans des situations qui n'auraient pas d’équivalents dans l'univers masculin.
Entre la fraîcheur de Yoko Tsuno et la sensualité qu'on peut y déceler, il y a de la place pour tout ce que la femme peut apporter à la bande dessinée. Y aurait-ilun juste milieu entre la vamp et l'être asexué qui ne serait pas la «mère»?
Cela ne fait pas de doute que le lecteur, face à une bande dessinée, se met en position de voyeur. C'est un rôle que le lecteur assume mais dont il ne faut pas abuser. Quand Yoko Tsuno se met au lit, le lecteur est appelé à entrer dans une intimité et, à partir de ce moment, l'héroïne joue le rôle de celle qui est en train d'être vue. De cela, toute la gestuelle du. personnage en témoigne. Bien entendu, l'érotisme est dans le regard de celui qui regarde, maie peut-il être ailleurs? Il n'a pas le choix, il regarde quelqu'un qui se met au lit.
Nous ne voulons ni d'une amie, ni d'une grande soeur, ni d'une mère, ni d'une poupée de porcelaine, nous voulons simplement d'une Yoko Tsuno qui sente le monde avec son corps et son âme de femme, fussent-ils de papier. Qu'elle entretienne avec ses proches, avec Pol, Vie, Ingrid, Monya, Khâny, Poky, des rapports francs, sans sous-entendus pour ne pas froisser les fantasmes de quelques lecteurs fictifs. Et cette sensualité véritable n'est pas une question de rendu graphique ou esthétique. Yoko est japonaise, électronicienne, pleine de finesse forte mais aussi et avant tout, femme. On ne reprochera jamais à Roger Leloup de la rendre encore plus vraie.
La grande sensibilité de Roger Leloup, son ouverture d'esprit, son désir profond de garder à sont oeuvre sa très grande qualité, nous permettent ces exigences.
 
 
 (LA PRESSE, MONTRÉAL, SAMEDI 1er MAI 1982)


Article écrit par Yoko le lundi 14 août 2006 à 05:04

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