De Lôghar à Gobol

Les enfants sont des êtres merveilleux. Tout est possible, quand on est un enfant. Le monde s’ouvre devant eux. Qu’en feront-ils ? Sauront-ils éviter les erreurs de leurs pères ? Mes robots sont précieux pour eux. J’espère que les adultes s’en rendent compte ! Avec ces petites machines, non seulement ils apprennent tout ce qu’ils doivent savoir sur le monde dans lequel ils vivent, mais aussi tout ce qu’ils devront savoir pour pouvoir y vivre pleinement, en adultes, libres.
Paradoxalement, c’est sans doute parce que je n’ai jamais eu ce que tout enfant a, dès avant sa naissance, que j’ai un sens si aigu de ce qui m’a manqué.
C’est bien autre chose qu’une question biologique. Maintenant que je connais la vérité sur mon enfance, je comprends pourquoi je suis si « décalé » du monde qui m’a vu naître.
Comment comprendre le monde dans lequel on naît, sans ce lien charnel, sans la transmission d’un être à l’autre ? Une machine peut-elle remplacer un être de chair et de sang ? Aurais-je pu m’insérer dans mon monde si j’y avais vécu de la même manière que les autres, si j’avais eu un lien privilégié et unique avec au moins un des êtres le peuplant ?
Il me semble que ce que transmet une mère à son enfant, c’est bien plus que des aliments et un certain savoir. Elle lui transmet aussi une part d’elle-même. De son histoire. En donnant naissance à un enfant, elle crée une vie, mais elle la « transmet » aussi, avec tout ce qui va avec. L’enfant est inscrit dans une lignée. Il naît au monde avec une famille, un père, une mère, et l’histoire que ses parents portent en eux. Je suis la preuve « vivante » que cette transmission est vitale.
Sans elle, pas de passé. Pas d’histoire. Et pas d’humanité. En étant obligés de remplacer ma mère par une machine, mes parents ont certes sauvé ma vie, mais ils ont aussi créé un monstre inadaptable à cette société dans laquelle je suis né.

C’est pour cela que je suis mort. Que Lôghar est mort. Il ne pouvait pas survivre dans un monde où il n’a pas sa place. En tuant Lôghar, Gobol a enfin pu naître. Le monde dans lequel je suis né n’avait pas de place pour moi. Il me fallait donc mourir pour renaître et pouvoir vivre au monde que je me suis créé. Et Gobol est et restera seul à jamais.

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Article écrit par Hallberg le vendredi 20 octobre 2006 à 13:00

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