Re: Le romantisme de l'Orgue

Ben Hugo en plein romantisme "actif", ou Verne et Balzac, héritiers directs, ne se privent pas de poser de façon précise (voire maniaque pour les deux derniers) les élements descriptifs, des gens comme Mérimée ou Poe sont beaucoup plus sobres. Mais il me semble que la raison s'en trouve le plus souvent dans le type du propos. Par exemple, chez Verne, le fantastique s'avère le plus souvent ambigu et fataliste: chez lui, in fine le fantastique n'est pas extérieur à l'homme ni magique, il est inhérent à l'homme à qui la technique donnerait le moyen d'extérioriser et de matérialiser le fantasme - le mystère n'est donc qu'en l'homme et tout le reste peut se décrire sous l'apparence de l'exactitude.

Dans le naturalisme, je vois autre-chose que la stricte précision et l'observation. On a trop décrit, à mon avis, le naturalisme comme un réalisme, comme le mythe d'une vision "objective" d'une réalité géographique et ethnologique. Quand on lit attentivement Zola, le naturalisme est bel et bien un point de vue littéraire, et notamment, dans son regard sur le petit peuple, il est parfois difficile de distinguer la compassion du voyeurisme, tant l'écrivain semble parfois se complaire dans la peinture de l'attroce (attroce social et attroce psychologique). Du reste, le naturalisme de Zola est sous-tendu par une thèse anthropologique, celle de l'hérédité. La description sert donc à Zola à plaquer sur un cadre réaliste sa sensibilité particulière, quand elle sert à Verne à situer son fantastique désabusé et partiellement misanthrope.

Maintenant, le romantisme a partie liée avec le régionalisme et la forte affirmation de l'identité européenne au travers de la reconnaissance des identités culturelles régionales, et des ouvrages comme "L'Orgue du Diable" et "La proie et l'ombre" y participent clairement, à mon avis. Ce n'est qu'un exemple: ces deux ouvrages, et tant d'autres aussi, regorgent de résonnances avec la pensée et l'esthétique romantique. Fascination pour un moyen-âge de rêve ou de cauchemar saisi par l'intermédiaire des ruines, des châteaux et de leur architecture vécue comme chaotique (exaltation du gothique, contre le rationnalisme du clacissisme). Intérêt pour les légendes et le "folklore" (dans le sens de l'époque, c'est-à-dire non pas des trucs pour touristes, mais la culture régionale). Fascination pour l'univers nocturne et la célébration de la toute puissance de la nature, qui exprime mieux les sentiments de l'homme que l'homme ne pourrait le faire lui-même (l'orage, le vent...) mais peut aussi montrer sa force impitoyable. Affirmation de l'individualité (pour les héros je ne vous fais pas un dessin). Analyse psychologique souvent pessimiste du mal et fascination pour les "méchants" qui deviennent des personnages flamboyants et lyriques, dont la haine est une sorte d'ennivrement. C'est discret dans Yoko, mais instinctivement, il me semble que les barbes noires et pointues d'un Karl ou d'un Karpan feront facilement penser le lecteur à une conscience iconographique très typique.

Pour moi, mais c'est peut-être une illusion rétrospective, la naissance de Yoko dans les années 1970 est pratiquement un acte de résistance (consciente ou non, voulue ou non, là n'est pas la question). Comme "La frontière de la vie" le fait de façon factuelle, Yoko prône souvent la réconciliation, et notamment la réconciliation avec notre passé. Stylistiquement, je pense qu'elle m'apporte ce qu'on cherche si souvent en vain, la réconciliation entre le présent et le passé esthétique, et notamment, se guérir de façon respectueuse du traumatisme post 1945 en art, retrouver tout doucement le chemin d'une nouvelle acceptation de la beauté et de la sensibilité, contre des décennies de blocage, de cynisme forcé.


Sujet écrit par Hallberg le vendredi 23 mars 2007 à 13:05

[ Imprimer ] - [ Fermer la fenêtre ]