Re: Venise et le marquis de To
Pour ce qui concerne Bruges, à ma connaissance c'est une ville touristique liée à un tourisme intelligent. À Venise, il y a effectivement trop de neuneus qui n'y vont plus pour se faire surprendre, mais au contraire pour se vautrer dans leurs propres préjugés et se faire vendre le pittoresque à la graisse de hérisson qu'ils se représentent. De ce fait, c'est assez dûr pour les vrais amoureux de Venise. À un niveau de fréquentation touristique infiniment moindre, j'ai personnellement ressenti la même chose à Berlin où la nouvelle vague des visiteurs (surtout depuis l'institution des techno-parades et autres bidules), se contente de se faire rabacher des stéréotypes. D'ailleurs une partie de ces touristes se fout éperdument de l'histoire de cette ville. Du coup une partie des aménagements sont faits dans ce sens, le pittoresque facile l'emportant sur l'authentique. Ceux qui ont encore l'esprit d'une Athènes du nord, et qui pour la plupart venaient bien avant qu'il y ait tous ces trucs branchouilles, ne peuvent qu'être agacés.
Bruges est ressentie comme une ville fossilisée depuis qu'elle a perdu, pour cause d'ensablement de son accès à la mer, son activité portuaire. D'un autre côté, on ne peut pas nier l'intérêt de son bon état de conservation historique, même si nombre de canaux ont été recouverts, et c'est aujourd'hui le lieu d'un tourisme plus calme et moins futile que celui de Venise.
Je crois que le "vécu" de l'auteur est indispensable, et que c'est probablement ce qui fait que l'image d'une ville s'écarte, même d'une façon inquantifiable, du folklore pour revenir à l'âme des lieux. Depuis que Venise est un Disneyland, un Hugo Pratt (pour rester dans la BD) avait conservé la capacité d'en parler sans tomber dans le folklore, ou sans que le folklore sente le "touristiquement correct". La proximité entretenue par Roger avec Bruges fait à mon sens qu'au delà de l'aspect de la précision documentaire de la reconstitution, il y a un échange un peu magique avec lui, la ville et le lecteur. Quand on ressent un attachement particulier à un lieu, j'ai l'impression que l'évoquer dans une oeuvre d'art peut devenir un besoin impérieux, mais aussi un acte des plus naturels.
Sujet écrit par Hallberg le mercredi 13 juin 2007 à 16:35