Re: Keepon
Ecoutez, quand quelqu'un, je crois que c'était Emilia, a dit quelque-part que j'étais plus savant que les autres ou un truc du genre, j'ai pensé que c'était juste une marque d'estime. Je me suis retrouvé tellement souvent à jouer les profs de culture générale que je vais finir par croire qu'il faut prendre la chose au sens propre. Avant je ne m'en rendais pas compte parce que c'est Kaldo ou Lucterios qui en faisaient le plus gros et qui de toutes façons savent plus de choses que moi, ou Pulko et Koko en sciences. Maintenant, j'ai l'impression que plus ça va, plus les gens se contentent d'avoir des lacunes dès que ça sort de ce qu'ils ont étudié ou de leurs activités professionnelles ou de loisirs. Le reste du temps, vous vous intéressez à quoi, bon sang? Allez, on se remue. Il y a des gens qui sont de la même génération que moi, ils ont un niveau d'études tout à fait comparable, je ne vois pas pourquoi il y en aurait de nécessairement plus savants que les autres. Poster sans effort, c'est bien gentil, mais alors à ce moment-là, moi aussi il faut que j'arrête.
Pour ce qui nous intéresse, allons-y une fois de plus, mais je fais sommaire parce que j'en ai marre.
Indication bibliographique: Gomarasca, Alessandro: Poupées, robots, la culture pop japonaise. 159p. Editions Autrement, Paris, 2002.
Le thème du robot occupe dans la culture japonaise une place importante, et le rapport de cause à effet entre l'avance technologique en la matière et le poids de la tradition culturelle fonctionne probablement dans les deux sens. Des laboratoires qui font des recherches avancées en robotique, ou des points de vente des premiers et sommaires robots commercialisés (depuis les jouets de fer blanc jusqu'aux "animaux de compagnie" robots contemporains) se trouvent en Europe, sans que la sphère culturelle suive nécessairement.
Le contexte japonais présente une grande variété de facteurs à l'origine de l'engouement populaire. On ne va pas tout détailler et je ne les connais pas tous, loin de là. Parmi ceux qui sont les plus évidents et notoires: la forte présence (dans l'économie, dans le mode de vie et de pensée) des appareils électriques et électroniques. Le Japon devant une grande part de sa prospérité au prestige et aux performances de ses produits de haute technologie, il y a dans la société un sentiment de relatif optimisme technologique et une valorisation de la technique comme foi en l'avenir. D'autre-part, le traumatisme de la bombe atomique a suscité une réflexion poussée sur le rapport entre la puissance, la destruction et la morale, dont les histoires de monstres géants sont une des manifestations dans la culture populaire, et dont les robots géants sont une autre. Il y a aussi l'histoire d'une société traversée par la tentation du repli sur elle-même, occasion de nombreuses interrogations sur le rapport à l'altérité, et donc l'intérêt de la figure du robot comme être différent.
Il faut y ajouter, de façon naturellement liée, le fait que c'est principalement dans l'art que le robot prend une place incontournable au Japon, et sous toutes ses formes. Cinéma et télévision (et notamment l'animation), littérature, bande dessinée, arts plastique (il y a une tradition d'arts plastiques sur le thème du robot qui n'a pas tellement d'équivalent en Europe); et la manifestation la plus étonnante en est probablement le fait que des architectes ont travaillé sur le sujet...
La culture japonaise est donc probablement celle au monde qui se saisit le plus profondément des questions posées par le thème du robot. Certes des sujets que nous avons déjà évoqués (le Golem de Prague, Pygmalion, l'Homonculus de Faust...) apparaissent dans la culture européenne; mais au delà du pouvoir de l'homme et de sa substitution au démiurge, le Japon propose d'autres questions qui semblent bien être, sinon des spécialités locales, du moins des approches beaucoup plus fréquentes.
Ainsi la fonction de substitution du robot (substitution à l'animal, à l'humain comme aide ou comme affection) se pose-t-elle de façon transversale dans tous les secteurs de la création: arts plastiques avec des installations ludiques (notamment à destination des plus jeunes), oeuvres de fiction, produits commerciaux, expérimentations scientifiques. À ma connaissance, le Japon est la seule civilisation à envisager ce problème avec un relatif optimisme.
La question de l'"autre moi-même" aboutit à un intéressant couplage entre les sciences de l'homme et la robotique au travers de recherches portant sur l'expressivité et la communication, dont les développements les plus spectaculaires sont la présentation récente de robots humanoïdes réalistes, reprenant au fond un type d'expérience que l'Europe faisait à l'époque de Vaucanson, et qu'elle a délaissé depuis. L'altérité est un des thèmes développés par la figure tutélaire de la bande dessinée et de l'animation télévisuelle japonaise, Tezuka.
Enfin, et je m'en arrêterai là, le Japon propose une réflexion d'origine strictement anthropologique sur la distinction et la possible séparation de l'âme et du corps, rendue probablement possible par l'absence d'un contexte judéo-chrétien soulignant comme une nécessité l'intégrité de l'humain en tant que chair et qu'esprit. Sur ce point, les thèmes artistiques du cyborg ou du robot piloté résonnent comme des allusions à la théorie de l'homonculus chez les alchimistes, chez les naturalistes du XVIIe siècle, et dans la science contemporaine, aux développements de Wilder Penfield qui, reprenant ce terme ancien, s'en sert pour identifier la distribution géographique des fonctions cérébrales.
Les Etats-Unis peuvent apparaître comme le second pôle dans lequel cette dimension culturelle, avec moins d'accuité, se manifeste.
Sujet écrit par Hallberg le vendredi 7 septembre 2007 à 02:56