Re: Réalisme

Zorglub : je suis un peu étonné de voir Corto Maltese débarrassé de toute contingence matérielle (c'est à dire temporelle) : au contraire, Hugo Pratt s'est scrupuleusement arrangé, au contraire de beaucoup d'auteurs, pour imbriquer son héros et ses aventures dans un contexte temporel très strict entre 1913 et 1925, à tel point que les biographes de Corto peuvent retracer sa vie, année après année, sans que les histoires qu'il vit ne se chevauchent et se contredisent. Comme exemple de héros, je verrais plutôt Alix... et Yoko, le personnage intemporel qui ne vieillit jamais, bien qu'ancré dans les années 70, d'où des contradictions parfois, comme lorsque Leloup commet l'erreur de vouloir situer "La pagode des brumes" au XXI° siècle (problème soulevé, au même titre que l'âge des personnages, dans le lien de discussion "Le visage de Yoko").

Je souscris à l'effacement des personnages secondaires que je déplore moi aussi. Cela dit, les deux derniers albums ajoutent une nouvelle sorte de dépaysement autre que la planète Vinéa et contribuent par ce fait à la diversité de l'oeuvre de Leloup. Quant au dragon de "La pagode des brumes", c'était un choix que de ne rien révéler sur sa nature, et de le laisser baigner dans l'optique qu'en avaient les Chinois du XI° siècle : un être fabuleux, de légende, qui baigne leur imaginaire : l'album y perd en science, mais y gagne en poésie.

Pour le réalisme, chacun trouvera quelque chose qui le perturbe, et avec raison je suppose. Pour ce qui est de Van Laet et du marquis de Torcello, le motif de leur survie a bien été évoqué : un élixir de vie. Mais cela ne tient pas la route, et l'auteur mélange les genres (un thème surnaturel à coté d'un thème scientifique qui est le translateur de Monya). Mais essayons un moment de nous mettre à la place d'un auteur car la critique (du lecteur) est aisée : Leloup compose ses albums comme un artiste, pas comme un ordinateur chargé de répérer les incompatibilités techniques ; il s'efforce d'être réaliste, mais tenter d'imiter la réalité à la perfection pour un artiste est un peu vain : il doit jongler avec beaucoup trop de paramêtres pour cela et son but est avant tout de divertir pour peu que l'on ne soit pas trop pointilleux. Les irréalismes sont légion dans la BD, et l'essentiel pour le lecteur est d'y trouver la part de rêve qu'il y cherche. Leloup a dû se dire ce jour : "Il faut que Torcello et Van Laet aient survécu jusqu'au XX° siècle ; comment faire ? Le translateur ? Non, Monya en a les brevets exclusifs !Allez ! Je vais leur refiler un élixir d'immortalité, puisqu'ils fricotent avec l'alchimie !" C'est tout : c'était un procédé, imparfait certainement, mais une fiction n'est en définitive qu'une somme de procédés plus ou moins réussis.


Sujet écrit par pol le mercredi 5 novembre 2003 à 14:25

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