Solaris
Article posté par ΨYoko.
Paru le vendredi 26 mai 2006 à 15:43
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Solaris
de conversation à ce propos. Martin était exigeant parce qu'il voulait ses pages, je le comprends; il avait son problème, il disait toujours "Hergé prend mon dessinateur". Je n'étais pas son dessinateur puisque Hergé me payait. Alors j'étais dans une position qui a fini par me fatiguer. Et il y a eu un jour un article dans lequel on m'a posé la question "Dans le fond vous êtes un nègre de la bande dessinée ?", et moi j'ai dit oui, j'étais un nègre, et je ne m'en plaignais pas. Et l'on a écrit un truc "Je suis un nègre chez Hergé", quelque chose comme ça.
Evidemment j'ai appris qu'il ne fallait pas dire ces choses; en, plus de ça, y était joint un texte qui n'était pas très élégant pour Hergé. Il y a eu des problèmes et sur ces problèmes se sont dessinés les caractères des individus. Martin n'a plus voulu que je travaille pour lui; il jouait au châtiment, plus qu'Hergé, alors que finalement là-dedans il n'y avait rien du tout. Alors j'ai été dégoûté parce que j'avais donné le meilleur de moi pour Jacques Martin...je ne dis pas de la valeur, mais des sentiments: j'ai donné tout pour lui. Je n'ai jamais dépassé le cap de "Monsieur Leloup" et "Monsieur Martin", il n'y a jamais eu d'amitié. J'ai été dernièrement chez lui et je lui ai dit ça; il n'y a pas moyen de travailler en amitié avec lui. Hergé, c'est différent, peut-être parce qu'il est plus âgé, et lui m'appelait Roger. J'étais très proche d'Hergé.
Mais encore une fois, Hergé a une certaine façade et il ne laissait pas transparaître exactement ses projets. Je le voyais de plus en plus qui décrochait si je puis dire de la BD, puisqu'il en faisait de moins en moins. Il m'envoyait dans les expositions; je ne dirais pas que je jouais le rôle des relations publiques, mais je constituais la documentation pour les journalistes. Vous seriez venu chez Hergé, je vous aurais reçu, je vous aurais fait voir toutes les planches, j'aurais fait les photocopies. Ca, c'est pas dessiner, c'est pas du métier, c'est pas de la créativité.
Je me suis dit c'est pas possible, ça ne peut pas continuer. Et puis un jour, pendant les vacances, j'ai eu l'occasion de travailler avec Francis (LA FORD T) pour un journal français qui s'appelait J-2 chez Fleurus. J'ai fait les aventures de Bouchu avec Francis, sous son nom. C'est vraiment de quatrième zone, on faisait ça pour un petit journal. D'ailleurs, il a foiré après...
Et puis Francis avait repris JACKY ET CELESTIN, les personnages de Peyo, et celui-ci a vu les décors que je faisais pour cette bande. Francis ne voulait que faire de l'argent rapidement, Peyo m'a dit "Il faut reprendre les personnages aussi, est-ce que ça t'intéresse de reprendre le tout ?" J'ai bâti le premier scénario, celui de L'ARAIGNEE QUI VOLAIT de Yoko, pour Jacky et Célestin. J'avais d'abord demandé à Gos, qui travaille chez Peyo, de me faire le scénario, il n'a pas voulu. Avec Walthéry, qui à ce moment travaillait aussi chez Peyo, je devais faire BENOIT BRISEFER; il a voulu continuer seul. Peut-être ont-ils eu peur de voir un gars arriver et les coiffer. J'ai trouvé les portes fermées alors qu'on essayait de me les ouvrir plus haut. Et finalement, j'ai fait tout moi-même. Peyo avait fait un infarctus à ce moment-là et il était un peu conscient qu'il m'avait embarqué dans certaines choses et qu'il ne tenait pas ses promesses. Il m'a emmené chez Tillieux.
Il m'a conduit chez Tillieux qui a accepté sur mon synopsis de faire des dialogues. Et j'avais donc le bagage, et je pouvais faire des pages de Gil Jourdan si ça ne marchait pas. Mais d'abord Yoko est née; c'était LE TRIO DE L'ETRANGE.
Car je dois dire que j'avais travaillé pour Hergé à la télé belge quand Armstrong a mis les pieds sur la Lune. Alors il y avait à la télé un montage-animation sur ON A MARCHE SUR LA LUNE. J'étais revenu d'Autriche pour illustrer ça. J'avais vu dans ces studios tous les boutons, le matériel, j'avais travaillé avec tout ça. Et je me suis dit, "un trio de la télé qui fait des choses un peu fantastiques, |
des choses un peu étranges" et j'ai pris le caméraman Pol (j'avais vu un gars comme ça qui était très comique), et le réalisateur Vic Vidéo. Et alors la script, j'ai pensé à Yoko.
Parce que Yoko au fond, elle est née pour un scénario de Jacky et Célestin, qui devaient aider un Japonais un peu bête et adipeux qui avait inventé une araignée mécanique et qui s'était fait voler. Pour faire la liaison entre ce type pas tellement intéressant et les héros, j'ai adjoint au japonais une petite soeur un peu frêle qui s'appelait Yoko. Elle maniait l'aikido, le Mo, le karaté...
Je me suis donc souvenu d'elle et je l'ai adjointe à Vic et Pol pour faire LE TRIO DE L'ETRANGE. J'ai présenté le trio la veille de Noël à Charles Dupuis pour SPIROU. Quand j'avais présenté Jacky et Célestin on m'avait dit qu'il fallait d'autres héros, ce serait plus intéressant.
SPIROU voulait de nouveaux personnages; c'est comme ça que j'ai poussé mon trio. Au début, chez SPIROU, on m'a proposé un contrat mirobolant avec l'Allemagne en double. Je n'y ai jamais cru et j'avais raison parce que l'Allemagne n'a jamais marché. Je me suis fait avoir par Astérix. J'ai fait dix pages et on m'a dit d'arrêter en attendant que l'Allemagne se déride. Je voulais gagner ma vie moi!
On m'a dit de prendre le personnage le moins important; j'ai choisi Yoko, que je préférais, et j'ai commencé les courts récits. Puis quand j'ai voulu reprendre le trio sans Yoko, on m'a dit qu'elle marchait très bien, qu'elle était cinquième au référendum. On m'a dit de continuer Yoko; je ne voulais pas, parce que Natacha venait juste de sortir, et je ne voulais pas avoir l'air de donner une autre héroïne dans la lignée de Natacha.
Si l'on compare à Natacha, votre bande était au début plus caricaturale que maintenant, particulièrement au niveau du dessin. Peu à peu vous avez évolué vers un certain réalisme; Yoko s'est élancée et Pol et Vic sont devenus plus sérieux.
Je me demande d'ailleurs comment elle a percé car elle avait une drôle de tête, non?
Au départ, je ne savais pas trop bien comment faire mes personnages. Chez Hergé on m'avait laissé un peu dans l'ignorance du personnage. Martin ne m'a jamais fait faire les personnages. C'est une chance, sinon j'aurais fait du Hergé, du Martin. Tillieux m'avait conseillé de prendre un côté un peu humoristique. C'est par la suite que je me suis rendu compte que ce n'était pas du tout mon genre. Je faisais de trop grosses têtes. Yoko avait des bras comme des bouts de bois. Finalement, j'ai tout fermé et j'ai réalisé ce dont j'avais envie, c'est-à-dire que j'ai créé avec Yoko l'amie, la sœur que je n'avais jamais eue, et je me suis défoulé. II y en a qui me disent d'ailleurs qu'il y a plus que la sœur ou que l'amie. Mais je laisse chacun y trouver ce qu'il a envie d'y trouver.
On peut voir que votre utilisation de la couleur a évolué en même temps que votre dessin. Dans le premier elle est plutôt décorative, comme pour toutes les bandes dessinées qui paraissent dans SPIROU. Peu à peu elle devient un élément d'ambiance, un élément narratif.
Oui, mais cela est parallèle au perfectionnement des machines chez Dupuis. II y a dix ans, j'étais déçu de |