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 Message pour l'Éternité

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mercredi 21 février 2007 à 19:32 Ceci fait suite aux commentaires postés dans le sujet Miyazaki, je vais tenter une introduction aux questions posées par l'activité du studio Disney après la mort de son fondateur.
Globalement, la situation est toujours paradoxale: le nom de Disney reste synonyme de cinéma d'animation pour une grande partie du public, mais ce réflexe s'appuie toujours largement sur un capital de sympathie amassé avec des films désormais anciens. Dans le même temps, ce "label" se déforme et produit sa propre déchéance: en effet, actuellement, le nom de Disney est irrémédiablement associé à un cinéma clairement formaté pour un public enfantin, à des parcs d'attractions et autres produits dérivés symbolisant la perversion de la sphère artistique par l'univers de la consommation de masse; et simultanément, le public cinéphile, mais aussi parfois le public le plus large, sont en train de s'approprier de nouvelles références, qu'elles se nomment Miyazaki, Burton, Chomet, Ocelot, Lasseter, Takahata, et les studios Pixar, Ghibli, Aardman, Dreamworks...
Il n'est jamais inutile de rappeler que Walter Elias Disney ne fut pratiquement jamais réalisateur de ses films, à l'exception d'une partie des courts-métrages (période Laugh-O-Grams, Alice et Oswald). Lui-même est à considérer comme un dessinateur et un animateur sans grand talent. En revanche, il fut probablement l'un des directeurs artistiques les plus talentueux de son temps, doté d'une capacité inimaginable à fédérer des artistes autour de ses projets, d'une ambition artistique d'une incroyable richesse. Sans qu'il en soit l'unique auteur ni même le principal artisan, tous les films réalisés sous sa direction portent sa vision de démiurge et de meneur d'hommes. Dans le cinéma d'animation qui est clairement un travail d'équipe, de tels personnages sont indispensables, et il n'est donc pas injuste ni péremptoire, à mon sens, de parler de génie.
Il reste aussi à préciser que l'homme avait peut-être des défauts peu flatteurs (maccartyste, volontiers délateur de ses propres collaborateurs...) et qu'il fut pris en fin de carrière d'une sorte de folie constructrice réalisant en fait des frustrations d'enfant - ses parcs d'attractions étaient en grande partie une excuse pour réaliser en grand ses rêves de trains miniatures... Néanmoins, chez lui et de l'avis de la plupart de ses biographes, l'idée de créer un empire financier et industriel doit être réellement considérée comme parfaitement secondaire par rapport aux aspirations artistiques. Sur le plan artistique, Disney était un homme de risque et d'audace dont les projets les plus personnels furent souvent ceux qui ne marchaient pas commercialement (Fantasia, La Belle au bois dormant...).
Après la mort de Disney, que se passe-t-il? Le studio continue de fonctionner sur le capital humain des "anciens", qui réalisent encore probablement pendant quelques années des projets esquissés par le maître. La formation des nouveaux arrivants se fait dans l'esprit d'une transmission d'un style religieusement conservé. Il en résulte l'élaboration de films d'une qualité formelle qui réussit à se maintenir pendant une dizaine d'années (Bernard et Bianca, 1977); mais simultanément, aucune évolution majeure ne se fait jour et le style Disney se fossilise. À la fin des années 70, Disney symbolise clairement un style conventionnel et nostalgique pour beaucoup - d'autant plus que s'est opéré, depuis les années 1950-60, une mutation importante: en partie à cause de son usage à la télévision, le cinéma d'animation est en train de devenir synonyme de cinéma principalement pour enfants. Cette mutation est totalement achevée dans les années 70 et 80 (c'est l'époque où les européens font si souvent l'erreur d'importer des dessins animés étrangers pour adultes... dans les émissions de jeunesse, quitte à les censurer!). Le studio Disney est prisonnier de son style et de son immobilisme, certes; mais il n'est pas le seul responsable, car c'est aussi, et peut-être surtout, désormais, le public qui n'admet plus son style classique et naïf que comme divertissement pour la jeunesse.
Roy Disney, le frère toujours assez pragmatique de Walt, a clairement des orientations plus mercantiles et, au fond, la mort de Walt constitue une libération. Mais ce sont les années 1980 qui annoncent la nouvelle idéologie de la maison: désormais, il s'agit de devenir un empire du divertissement. Si nous en restons au domaine de l'animation, c'est pour beaucoup d'amateurs du genre le second "début de la fin" après la mort de Disney. Paradoxalement, les nouvelles directions jouent beaucoup sur l'image "traditionnelle" du studio: la valeur Disney est efficace pour vendre des films familiaux pour les fêtes de fin d'année et une image mièvre et sucrée: on va donc en jouer à plein régime quitte à enfoncer les clichés d'une façon énorme. Lors de leurs reprises en salle ou en vidéo, on insiste pour créer artificiellement une continuité entre la période Disney et la période post-Disney au point que le grand public finit par oublier presque totalement que la période actuelle n'est qu'une pseudo continuation, et en réalité l'exploitation par un studio totalement renouvellé d'un nom et d'une image de marque.
Or simultanément, la production de longs métrages sort de sa léthargie avec l’ambition d’une sortie par an, rythme énorme en animation. C’est le moment d’une des plus grandes fumisteries, à mon sens, du cinéma actuel (mais non la seule, qu’on se rassure): la réalisation technique, mais aussi le travail de scénario et de mise en scène, sont accélérées par le moyen de la facilité au pire sens du terme: une informatisation en dépit du sens artistique est pratiquée, mais les défauts techniques et les contraintes en seront présentées au public comme de soi-disant partis pris graphiques (voir les fameux “doigts carrés” de certains films); les autres critères sont alignés sur des études de marché, les scénarios et l’ensemble du propos artistique sont de plus en plus calqués sur “ce qui est censé marcher”. Tandis qu’il se gausse de rénovation, de modernité, le studio s’enfonce dans les pires travers du cinéma de supermarché, qui culmine actuellement dans les “suites” multiples destinées au marché de la vidéo. `
Le miracle veut que surnagent ponctuellement quelques films sympathiques (Le roi lion, d’après Tezuka qui lui même revendiquait son héritage disneyen, belle façon de boucler la boucle) voire audacieux (Mulan, belle mise en scène et plastiquement soigné).
Décadence... Il y a encore quelques mois, l’avant-garde du dessin animé, les gens qui croyaient à cet art universel et le faisaient avancer toujours plus loin sur les chemins de l’imagination et de la création, ceux qui perpétuaient l’esprit d’un Walter Elias Disney (celui de Blanche-Neige, celui des Silly-Symphonies, celui de Fantasia), se trouvaient partout dans le monde sauf chez Disney, où un Burton se sentit jadis étouffé artistiquement. Ils sont ailleurs. Dans un univers du court métrage redevenu foisonnant et imaginatif artistiquement, mais à la diffusion confidentielle (il en restera ainsi tant qu’on ne réïntroduira pas massivement des courts en première partie de séance); mais l’imagination est aussi au pouvoir chez les géants de l’animation concurrents de Disney, notamment dans le désormais inévitable trio de tête représenté par Pixar, Ghibli et Aardman dont sortent régulièrement des films qui sont notre patrimoine de demain.
Décadence, ou renaissance? L’entreprise Disney contrôle (économiquement) les studios Ghibli et Pixar, et par le jeu des alliances nouvelles, c’est un immense cinéaste, Lasseter, qui se retrouve à la direction artistique du nouvel ensemble. Est-il permis d’espérer? 
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koko
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lundi 26 février 2007 à 18:03 Je ne vois pas qu'ajouter, sinon que, boulimique absolu, j'ai absorbé presque toutes les suites en direct to video de Disney, parfois consterné, parfois amusé par tant de fumisterie.
Au japon, le marché des OVA et autres DTV est parfois aussi soigné que les productions destinées à une distribution au cinéma. L'absence totale de censure sur ce type de production entraînant parfois même une originalité accrue. Chez disney vidéo est syndrome de médiocrité...
Je passes sur Bambi 2, qui fut finalement passé dans les salles obscures alors que sa conception le destiné à l'origine au marché DTV. Ce film arrives non seulement à se caractériser par une absence totale de scénario et une surabondance de clichés, mais également par une capacité hors du commun à massacrer toute la cohérence introduit dans le premier film. Là ou Bambi avait une représentation cohérente de la nature, Bambi 2 nage dans le n'importe quoi le plus atterrant (par exemple un lapereau qui passe tout l'hiver sans être adulte, ni même avoir atteint une taille raisonnable).
Je crois que Peter Pan 2 aussi a eut les honneurs d'une sortie au cinéma. Je ne me l'expliques pas, car, si Bambi 2 offrait une animation potable, Peter Pan 2 est vraiment une production DTV typique. Le scénario ressemble un peu à celui de Hook, la magie en mois et une sérieuse dose de bêtise en plus. Ce n'est cependant pas le pire du lot.
Si on veut de vrais horreurs il faut regarder Mulan 2 (on dirait un épisode filler de Naruto), Cendrillon 2 (il n'y a même pas de scénario) ou la Belle et le Clochard 2 (avec certains plans d'une laideur sans nom).
J'ai déjà parlé en bien du Roi Lion 2. L'animation est dans la moyenne des DTV Disney, mais le scénario, calqué sur celui de son modèle, conserve une certaine ampleure shakespearienne. Le cinéphile déviant |
+Hallberg
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lundi 26 mars 2007 à 10:42 D'après d'autres sources c'est... épouvantable. Confirmations/infirmations? D'autant plus que "faire dans l'esprit des anciens Disney", c'est naturellement ce que le studio prétend depuis 40 ans... Affirmation évidemment facile, marquant l'échec d'un studio ne parvenant ni à faire "un film que Disney lui-même aurait fait", ni à aller de l'avant question style. Ce n'est que mon avis, mais tout ce qui a prétendu être "dans l'esprit", jusqu'à présent, n'en a récupéré qu'une partie, et encore mal comprise, à savoir, le côté familial et bien gentil. Tout ce que j'ai pu voir de récent, c'est l'absence totale de prise de risque stylistique... 
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+Hallberg
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vendredi 30 mars 2007 à 19:47 Ouais... Quand le studio Disney s'est aventuré dans l'animation 3D, ça a prouvé une seule chose: qu'ils feraient mieux de continuer à distribuer Pixar plutôt que de faire des sottises.
Après, cette histoire de Rapunzel, qui sent la catastrophe, c'est désespérant. Moi qui avais placé de l'espoir dans le nouveau poste de Lasseter, je déchante. Donc s'il faut espérer de quelque-chose d'autre après ça, et à moins d'une prochaine reprise en main... Heu... Autant tirer une croix dessus, adieu studio Disney, j'aimerais mieux qu'il coule plutôt que de continuer de se ridiculiser en salissant d'une certaine façon la mémoire de son créateur.
Quant à mettre Aladdin sur le même plan que Peter Pan, je n'oserais pas, quand-même, même si Aladdin me semble quand-même vers le haut du panier en ce qui concerne la catégorie de toutes façons sinistrée des films récents. Perso, je préfère largement Mulan, à la limite... 
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PulkoMandy
 Porte des Âmes


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samedi 31 mars 2007 à 17:04 Ben la 3D ça marche plutôt bien, on l'utilise même dans des films avec des vrais acteurs pour faire les trucages Le problème, c'est que ce qu'on voit dans le dessin animé 3d, c'est plutôt de l'imitation du "style dessin animé" faite par ordinateur... C'est dommage quand on sait tout ce qu'il est possible de faire. J'ai vu une affiche de "Cendrillon et le prince (pas très) charmant" ou un truc comme ça qui le montre assez bien... j'ai l'impression que les personnages ont été modélisés sans utiliser de textures, ils sont lisses, ça ressemble franchement à rien. Finalement, je pense qu'on ne peut voir le vrai look des images de synthèse que dans Tron, ou elles ont bien quelque chose de propre. Autant l'image de synthèse peut ne pas être génante dans un film, autant dans un dessin animé, il est peut-être dommage d'en mettre partout. Il pourrait être intéressant par exemple de faire bouger des personnages animés par ordinateur sur un fond dessiné à la main, ou l'inverse, de la même façon que l'on peut faire cohabiter des dessins animés avec des images filmées. Le problème est que l'on utilise l'image de synhèse pour faire comme un dessin animé, un peu comme si on voulait faire du dessin animé ultra-réaliste, comme un vrai film... Il y a surement quand même mieux à découvrir... "Qui a un pied dans la barque et l'autre dans le canoë tobera à l'eau." proverbe tuscarora |
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mercredi 25 avril 2007 à 17:07 Sur le problème de l'animation par ordinateur, ce serait un plus vaste débat, mais bon, je rejoins l'avis de Pulko. Aucune technique ne saurait être validée ou invalidée pour elle-même en art, tout dépend de ce que l'on en fait. Dès l'arrivée de cette technique dans le domaine du cinéma à large diffusion, John Lasseter a montré que la technique n'était rien et que l'art était tout, en se saisissant du nouveau procédé pour faire du cinéma tout court. Le fait que les "suiveurs" comme le studio Blue-Sky ou Dreamworks soient souvent en retrait et que d'autres s'engagent parfois sur le chemin de la facilité ne disqualifie pas la technique, mais le goût des auteurs, ce qui est très différent. Sur le plan de la prise de vue mixte avec comédiens et effets numériques, sans remonter jusqu'à "Tron", les asiatiques ont mis au point quelques "outils" stylistiques nouveaux, ensuite popularisés en occident par Wachowski et consorts, qui font faire le même bilan: partout où le numérique sert à élargir le langage de la caméra, on peut lui faire dire des choses; partout où il sert à se substituer à autre-chose en l'imitant, il peut relever de la fumisterie; et partout où il apporte des simplifications outrancières, on s'en passerait bien. D'ailleurs, en cinéma d'animation, l'hypocrisie courante consiste à donner de faux arguments esthétiques pour faire passer la pillule d'un procédé qui sert juste à faire des économies (Studio Disney, Tartarkowski et autres...).
À mon sens, les prises de positions dogmatiques sont tout aussi inutiles que sur le débat muet-parlant, couleur-noir, animation en volume-animation plane (qui aurait pu apparaitre à l'époque de Starevitch ou de Pal et se continuer avec Nick Park...). N'est coupable que le mauvais cinéaste qui exploite la technique non pas comme un moyen mais une fin.
Pour les remarques de Koko: faut vraiment le vouloir... Moi je ne me déplace même plus pour les longs métrages proposés en salle qui sont censés être la crème de la crème de la production actuelle de ce studio... Du reste, et indépendemment des qualités (ou plutôt du nombre pas trop important de défauts) de ce genre de film, je suis toujours consterné par cette façon veule et ridicule d'exploiter la popularité des films intéressants. La dernière fois qu'un département du studio Disney (en l'occurence le studio de Montreuil dont ce fut à ma connaissance la dernière réalisation) a travaillé réellement dans un esprit de continuation de l'oeuvre de Walter-Elias et de façon pas trop intéressée ("désintéressée" serait quand-même excessif vu que Dali, ça peut rapporter), c'est pour "Destino"... Or imiter le maître n'est pas tout, et les suites multiples devraient être même pour les gens les moins avertis la preuve évidente que ce studio est totalement incapable du moindre renouvellement créatif - et pourtant, apparemment, ça ne choque pas grand-monde...
Que le département d'animation 2D ferme donc, il ne fait rien de bon... La seule chose qui me chagrine, c'est que désormais, on sous-traitera en Chine et peut-être même en Corée du Nord... Au fond, ce qui me semble réellement intéressant, que l'entreprise Disney continue à donner des financements conséquents à Pixar et Ghibli qui, eux, font du vrai cinéma et représentent réellement l'excellence artistique offerte à tous que Disney défendait. Je crois que si je devais emmener quelques films d'animation des 30 dernières années sur une île déserte, je prendrais "Chicken-run", "Nausicaä" et "Cars", ou peut-être "Les triplettes de Belleville", et pas un seul "pseudo-Disney"... 
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